Nous avons peu de documents sur le Buisson. Le nom vient sans doute d’un énorme arbre épineux du genre de l’aubépine situé près du jardin appartenant auparavant à Serge Beaufrère, arbre qui périt et fut coupé vers 1985.
Le Buisson avant 2010
Notre famille est arrivée au Buisson en 1954. La présence de Baptiste et de la Phine, nos voisins, agrémentait le quotidien de nos vacances et apportait à ce dépaysement urbain un contraste prononcé entre ces deux mondes. L’authenticité, la rusticité nous étonnaient, leur mode de vie basé sur la simplicité, la nature, les animaux, les saisons, émanait d’une sagesse propre à ce monde rural auxquels ils appartenaient et que nous respections, mais pour nous méconnu. Témoin en partie de ce passé, j’ai tenu à faire « revivre » en quelques lignes ses habitants qui ont marqué mon enfance, à l’aide de notes prises par mon père durant toutes ces années où nous nous sommes côtoyés en parfaite harmonie.
Sur une carte d’état major datée de 1852 figure sans aucun nom une maison située entre la « Roulière » et le Mas, en dessous de l’ancien chemin communal. Les relevés cadastraux se firent entre 1808 et 1850, on peut supposer qu’il y a relation entre les relevés et les cartes d’état major, faut-il conclure qu’à cette date une seule maison se trouvait au Buisson ? Le chemin communal étant celui qui va de la Rullière à la route en montant vers la Croix ou passant vers le pré Pitiot. D’après Baptiste Pitiot qui possédait à merveille la tradition orale, il y a longtemps, très longtemps se trouvait un café-auberge en bordure du chemin qui va de la Rullière au Mas.
Ce chemin est une voie très ancienne reliant la Vallée du Gier à la Vallée du Rhône, passant par Saint- Martin – Chavanol ou allant de la Vallée de l’Onzion à Chavanol – Doizieu, le Collet de Doizieu, Pélussin. La Rullière s’appelait la Roulière (les rouliers étaient des transporteurs de marchandises ou de personnes. Il est donc bien possible qu’une auberge ait existé sur cette voie de communication où passaient les muletiers car c’étaient des mulets bâtés qui emportaient le charbon de la Vallée du Gier vers le Rhône et ramenaient le vin, le sel ou les épices. Toutefois on peut relever quelques inscriptions sur les maisons du hameau portant des dates qui restent les témoins du passé du Buisson. La plus ancienne est de 1618.
Les habitants du Buisson de 1903 à 1975 : Baptiste Pitiot
C’était le type même des paysans du Pilat, pantalon de velours, veste de velours, chapeau qu’il ne quittait qu’à l’église où apparaissait un crâne blanc comme neige dominant un visage bronzé, buriné par le temps. Il se disait de faible santé et portait toujours deux ou trois gilets, il craignait le froid et le trop grand soleil, nous disions de lui qu’il était comme la poule blanche, il avait toujours mal à la patte ou à la hanche. Au demeurant c’était ce qu’on peut appeler un très brave homme.
Il travaillait sur ses terres avec beaucoup de compétence, restait dans la tradition, fauchant à merveille et gardant ses prés et ses terres dans une grande propreté et bien fumés, arrachant les graminées et les chardons et faisant à l’approche des orages les razats avec sa pioche et son parapluie, ce qui avait le double avantage d’éviter les inondations dans sa grange et sur les chemins et d’envoyer l’eau chez le voisin, car sans en avoir l’air Baptiste était rusé. Il ne frappait jamais ses vaches ou rarement et dès qu’elles avaient vêlé ou travaillé un peu pénible il les mettait au champ ou à l’écurie avec une couverture ou un sac sur le dos.
Baptiste était très curieux, vivant au Buisson il savait et voulait savoir tout ce qui se passait à Doizieu ou ce qui arrivait à quelqu’un qu’il connaissait. Jamais il ne disait du mal de qui que ce soit ; il racontait des faits plaisants sur les uns ou les autres, se moquant gentiment de certains travers mais sans aucune méchanceté. Il avait un petit côté gamin et ne résistait pas à l’envie de se faire transporter en voiture : tous les prétextes étaient bons. Il avait de nombreuses expressions qui lui étaient propres comme celles ci-dessous. Le vent d’ouest c’était l’auvergnate ou la traverse ; quand il avait réussi ses foins il disait « Cette année j’ai bien capité » ; la dernière voiture de foin rentrée c’était « faire la revole » (finir les foins) ; la chèvre qui quittait le troupeau pour aller paître s’était « abadée » (elle avait pris sa liberté, elle n’était plus surveillée) ; son horloge c’était son « rologe » et bien d’autres encore.
Baptiste avait une mémoire fidèle, moins précise pour certaines choses que celle de la Phine, mais il se rappelait un tas de choses et comme c’était un excellent conteur, il savait vous tenir en haleine jusqu’au dénouement rarement prévisible. Il parlait du temps passé, notamment du début du siècle qu’il avait vécu, avec beaucoup de détails, racontant les veillées les soirs d’hiver, les travaux à la clouterie, les messes l’hiver où pour s’éclairer ils enflammaient des écorces de pin, comme des torches.
Il vivait avec sa soeur Joséphine appelée « la Phine » 1905 – 1991
Très alerte pour son âge, infatigable pour tout ce qui touche aux activités de la ferme, bien réduites les dernières années lorsqu’elle n’avait plus de vaches, seulement quatre ou cinq chèvres avec le lait desquelles elle faisait des fromages délicieux, des poules nourries uniquement au grain dont les oeufs ont un jaune qui mériterait aujourd’hui le label bio sans aucun doute.
Après avoir subi une opération sérieuse elle s’est remise rapidement à la stupéfaction des médecins. Elle se nourrissait de rien et de l’air du temps, beaucoup de biscottes, un peu de viande, oeufs et lait, sans oublier les pommes de terre. Sa dentition étant défectueuse, elle avait des difficultés à mâcher mais était gourmande des pâtés aux pommes. Elle était sourde mais, mystère de l’acoustique, parfois elle nous entendait même si nous parlions à voix basse !!. Bien supérieure à tous les météorologues elle prévoyait le temps sans se tromper deux ou trois jours à l’avance : «Il va pleuvoir, les poules se piaulent » ; « Les chèvres ne restent pas en place, c’est le vent pour demain » ; « C’est trop clair dans le bas (direction de Lyon), ça ne durera pas». Jamais elle ne se trompait. Elle était d’ailleurs capable d’adapter son savoir aux techniques modernes depuis qu’il y avait des ailes volantes… elle savait bien que si elles atterrissaient dans la Vallée du Dorlay c’était signe de pluie. Effectivement, partant du Pilat le vent du sud même léger les pousse dans la Vallée.
Son grand plaisir les dimanches d’été était de garder ses chèvres à proximité de la route, ce qui lui donnait l’occasion de causer avec beaucoup de monde, les jeunes la taquinaient un peu mais toujours gentiment, les plus âgés discutaient avec elle de choses et d’autres. Elle aussi avait des expressions qui lui étaient propres, lorsqu’elle se reposait l’après midi elle allait faire « son assiette » et non sa sieste. Au décès de son frère Baptiste, c’est son cousin Maurice Brun qui gérait ses affaires. Elle avait pour lui une profonde vénération et grâce à lui elle est restée au Buisson le plus longtemps qu’elle a pu.
Il y a eu aussi Rémi, arrivé au Buisson dans les années 1980. Il venait de Montfaucon et travaillait pour Jeannot Gourdon qui louait la grange de Serge Beaufrère. Il menait une existence paisible au Buisson, s’occupant tantôt de chèvres, de vaches, de chevaux, de cochons. Il aimait beaucoup les animaux et leur parlait dans son patois de Saint-Agrève et ils le comprenaient. Toujours le sourire et de bonne humeur, pourtant la vie ne l’avait pas épargné, il se contentait de peu. Très proche de ses deux oies qui étaient ses confidentes !! Grâce à la présence de Rémi pendant environ une dizaine d’années, les hivers pour la Phine paraissaient moins longs. Puis Maurice Brun, après le décès de la Phine en 1991, a réhabilité la ferme pour s’y installer durant l’été. Mais il venait régulièrement pendant l’année, ayant des attaches très profondes avec Doizieux. Il l’a vendue à Damien en 2010.
Le Buisson après 2010
Le Buisson a changé et ses habitants également pour laisser place à la rénovation, à la jeunesse et à l’avenir. Damien et Ludivine, mes voisins, ont rénové la ferme Pitiot ; un autre projet voit le jour. Pour ma part, attachée à ce lieu cher à ma famille, j’ai fait le choix d’y vivre en le rénovant. J’ai quitté la ville pour m’y installer tout début 2012. Je m’y sens bien. Les relations de bon voisinage sont toujours existantes, agrémentées de petites attentions et d’un regard toujours bienveillant pour l’autre. Ce qui apporte à notre hameau du Buisson cette douceur de vivre et perpétue cet esprit qui lui est propre, enraciné par nos
prédécesseurs.
Marie-Yvonne Rivollier